Comment défendre l'impardonnable ?

J’ai décidé aujourd’hui de rédiger ce texte après avoir lu les commentaires sous l’article « Il a cassé mon pyjama » publié sur France3 Pays de la Loire le 22 janvier 2025. Des commentaires durs, dans lesquels des lecteurs y critiquent le manque de sévérité de la Justice, ou fustigent le travail de l’Avocat de la Défense, en l’occurrence mon travail.

En début de semaine dernière, j’ai défendu un client qui a comparu devant la Cour d’Assises de Loire-Atlantique pour, notamment, des faits de viols et agressions sexuelles incestueux sur mineurs de moins de quinze ans.

Pour avoir été condamné en 2002 pour des faits similaires, mon client était jugé en état de récidive légale et encourrait donc une peine de réclusion à perpétuité.

A l’issue de deux jours de débats très intenses, les conseils des parties civiles ont commencé leurs plaidoirie, suivies par l’Avocat général qui a requis à l’encontre de mon client une peine de vingt-six ans de réclusion criminelle, assortie d’un suivi socio-judiciaire de sept ans comportant les obligations et interdictions assez classiques en la matière.

Après une courte suspension d’audience, je me suis évertuée à exercer mon métier : défendre un Homme.

Quelques semaines auparavant, ma Consoeur Nadia El Bouroumi, une des Avocates de la Défense lors du procès des viols de Mazan, avait publié une vidéo dans laquelle elle y exprimait son désarroi, sa colère, et son incompréhension face à la réaction d’une partie du public présent lors des débats. Ce public dont l’animosité envers les agresseurs de Gisèle Pelicot s’est étendue jusqu’à leurs Avocats qui avaient osé défendre l’impardonnable. Et ce même public a hué mes Confrères pour avoir seulement fait leur métier : défendre un Homme.

Dans les commentaires sous l’article de France3, le terme « impardonnable » pour décrire l’attitude de mon client est revenu à de nombreuses reprises.

Alors comment défendre l’impardonnable ?

Pour mémoire, les termes du serment de l’avocat sont les suivants : « Je jure, comme avocat, d’exercer mes fonctions avec dignité, conscience, indépendance, probité et humanité ».

N’oublions pas cette dernière notion, mais probablement la plus précieuse de notre serment, qu’est « l’humanité ». Selon le dictionnaire Larousse, l’humanité est définie comme étant une « disposition à la compassion ».

Cette notion a été le moteur de ma plaidoirie le 22 janvier dernier : mon client, cet homme ayant commis des actes impensables, n’en demeure pas moins un Homme. Il était de mon devoir de remettre de l’humanité en cet Homme, et de tenter d’en convaincre la Cour d’Assises. Un Homme, avec son passé, ses failles, et ses regrets.

Toujours selon le dictionnaire Larousse, « défendre quelqu’un » signifie le « protéger ».

En cela, nous pouvons dire que les droits de la défense sont ceux visant à protéger un justiciable lors d’un procès. Le protéger de son absence de connaissance de la Loi. Le protéger d’une Justice parfois aléatoire (du fait de la localisation du procès, du fait des jurés etc.) et perçue comme étant alors arbitraire. Le protéger de toute atteinte à la présomption d’innocence.

Le chemin de la Défense a été, pour ce dossier en particulier, très long. Même si les jurés et les juges composant la Cour d’Assises ont perçu l’effectivité de ce travail pendant les trois jours de procès, en réalité, la Défense de mon client a duré trois ans et demi, dès son placement en garde à vue en juin 2021.

Il était hors de question de faillir, mais toujours de venir en détention, au parloir, discuter des faits, travailler les rapports d’expertise, lire les auditions des victimes et des témoins, et préparer cette Défense pour que mon client ait le droit à un procès équitable. Toujours l’écouter avec « compassion », et humanité.

Malgré la rudesse de ces trois jours de procès et également des moments de grande solitude, il me semble qu’il ne faut jamais baisser les bras, car il n’y a aucun déterminisme dans la décision rendue : la Cour d’Assises ouvre le champ des possibles. Et ce, notamment, en raison de la présence des jurés, ces citoyens qui ne sont ni juristes, ni juges, ni même hommes de Loi, mais qui sont là pour représenter la voix démocratique de notre société et apporter leur concours à la Justice. Ces jurés, qui doivent rester attentifs pendant des heures durant, tout en veillant à ne pas manifester leurs opinions, car leur serment leur impose de rester impartiaux. Ces jurés qui doivent entendre le meilleur, comme le pire.

Le délibéré est tombé à 19h après de longues heures de débats : mon client a été condamné à vingt-six ans de réclusion criminelle avec une période de sûreté de la moitié de la peine, outre un suivi socio-judiciaire de trois ans et une peine d’inéligibilité de dix ans.

J’ai tenté de défendre l’impardonnable. J’ai défendu l’impardonnable. Ai-je réussi ? Seule la Cour d’Assises a la réponse à cette question, mais une chose est certaine, et ne l’oublions pas, il est de notre devoir, en tant qu’Avocat de la Défense, de toujours veiller à protéger nos clients de tout « populisme pénal »*, et de les défendre, toujours, avec « dignité, conscience, indépendance, probité et humanité ».

* notion empruntée à Monsieur Denis Salas, ancien magistrat.